Plus jeune, j’allais passer mes étés à la campagne, dans l’Est de la France, chez mes grands-parents. Ils avaient, dans leur petite maison de campagne, une grande terrasse surplombant un jardin sauvage et verdoyant sur laquelle s’épanchaient feuilles et branches d’un magnifique cerisier.
Solide, fort, grand et bien feuillu, ce cerisier était le symbole de mes vacances, synonyme de jours heureux et de liberté au grand air des Vosges. C’est avec lui que mon grand-père m’apprenait à observer les oiseaux, à reconnaître mésanges à têtes bleues et autres pinsons, à repérer leur mode de vie et leurs va-et-vient. A l’affût devant le cerisier, je guettais les oiseaux avec les petites jumelles que mon grand-père m’avait donné, rafistolées d’un cordon de paille bleue. Du haut de ma gourmandise, je guettais aussi les dernières cerises de l’été d’un œil vif, et j’étais fière de partager ces fruits avec les oiseaux, ceux que j’appelais mes amis.
Au fil des années, la maladie se répandait sur le tronc et les branches du cerisier. Chaque été, lorsque je revenais, le cerisier paraissait amoindri, ayant moins de branches, moins de cerises et moins de feuilles. Au début, je ne m’alarmais pas, je pensais, et j’espérais, que cet arbre magnifique allait guérir. Naïvement, je ne voulais pas voir que le cerisier perdait de sa beauté et de sa force. Un jour, les feuilles ont fini par ne plus pousser du tout. Il fallait se rendre à l’évidence, le cerisier était mort. Son tronc et ses branches fines et immaculées sont restées des mois, voire des années durant, sans que mes grands-parents ne veulent le couper. Nous le regardions, nous remémorant ses saisons de gloire et sa verdoyance.
Un été, je suis arrivée chez mes grands-parents, et le cerisier n’était plus là. Il ne restait à sa place qu’un vide immense. Je n’ai plus vu autant d’oiseaux, je n’ai plus vu la vie se mouvoir dans cet arbre refuge, je n’ai plus vu de noyaux de cerises laissés par les oiseaux gésir sur le sol de la terrasse. J’ai été profondément triste. Le cerisier était parti pour toujours. J’étais plus triste encore pour mon grand-père. Si je n’avais connu ce cerisier qu’une dizaine d’années de ma vie, mon grand-père, ayant grandi dans cette maison, avait toujours connu cet arbre, sa famille l’ayant planté et vu s’épanouir.
Je n’ai jamais osé demander à mon grand-père quelle place le cerisier laissait dans son cœur, le voyant parfois regarder le fantôme de cette nature tant aimée. La maison avait perdu son repère dans le paysage luxuriant qu’offrait la vue, mais la nature étant bien faite, non loin de là, une petite tige s’élevait déjà de terre…
2 commentaires sur “Le cerisier – Royaume de l’harmonie et des jours heureux”
Très joli partage emprunt de pleins d’émotions. La tristesse d’une fin et l’espoir d’un commencement se mêlent. Ce texte est surtout plein d’amour. Merci Séléné pour ce partage de souvenirs.
Merci infiniment pour ce joli commentaire..! Je suis très heureuse de vous lire !