Skip to content

L’insoutenable légèreté d’un sourire

SDF, clodo, clochard, sans-abris, mendiant… Autant de mots pour qualifier un être humain qui a perdu sa vie et tente de survivre avec ce qu’il peut.

Dans les grandes villes, combien de fois passe-t-on devant sans même un regard ? Comme si ces êtres n’étaient plus qu’une ombre déambulant autour de nous. Pourquoi ceux qui sont dans la lumière n’aiment-ils pas l’obscurité ? Cela me brise le cœur depuis toujours, et continuera de me poursuivre. Confrontée presque quotidiennement aux sans-abris dans les transports en commun, j’ai appris à changer mes comportements, à être une personne qui, seulement pendant l’espace d’un instant, écoute, voit, soutient et encourage. Je vous raconte.

J’écris souvent des petits textes dans les notes de mon téléphone suite au passage d’un SDF dans le métro. Ces rencontres, bien que brèves, m’inspirent. Nous avons tant de leçons à tirer de ces personnes. Si elles n’ont rien, elles sont bien plus courageuses que nous, qui oublions parfois à quel point nous sommes chanceux. Je me suis souvent pris des leçons d’humanité face à un sans-abri. J’avais même hésité à publier un article intitulé Le métro au sujet d’une rencontre en particulier, dont je vous mets en extrait ici : 

Le 5 janvier 2022

Quand j’étais petite j’adorais prendre le métro. C’était symbole d’après midi parisiens en famille au grand air à découvrir le monde avec mon papa. J’adorais le métro, ses couleurs, son atmosphère, les rames sans conducteurs… C’était un manège. 

Aujourd’hui j’ai 24 ans, j’ai pris des milliers de fois le métro. Je n’aime plus ça. 

Je n’aime plus ça, non pas à cause des odeurs, de la pollution, du monde qui grouille même si ça pourrait m’en dégoûter. Je n’aime plus prendre le métro car mes rencontres avec les sans-abris me bouleversent. Combien de fois ai-je pleuré face aux personnes se battant pour manger, dormir au chaud et pour leur vie. Combien de fois je me suis sentie misérable de ne rien donner, quand bien même je n’avais rien à offrir si ce n’est un sourire (aujourd’hui voilé derrière un masque Covid-19). Combien de fois ai-je eu envie de dire « mais venez à la maison manger et vous laver », sans le faire pour autant. Combien de fois je pense à ces femmes et ces hommes violés par la rue, le désespoir et la misère. Je suis bouleversée de tristesse et de colère face à tant d’impuissance. Quand j’étais petite je n’avais qu’une envie déjà, ouvrir plein de maisons pour que personne ne dorme dehors. A part être bénévole et distribuer à manger, ce qui est déjà bien, ce n’est pas assez à mon sens. Est-ce optimiste ou utopique de vouloir que plus personne ne soit obligé de dormir dehors sans rien pour vivre ni personne sur qui compter? 

Je me souviens d’une femme qui me racontait être violée tous les soirs dans la rue, que sa crasse et son manque de protection périodique n’arrêtait en rien les monstres rôdeurs. Aujourd’hui encore, je m’apprête à donner un pain à un vieux monsieur assis par terre, les pieds noirs, sans habits chauds, sans sac, sans rien que sa maigreur. Au moment où je lui tends, celui-ci ouvre la bouche et me montre qu’il n’a pas de dent. Il ne peut pas manger le pain. N’ayant rien d’autre, ne pensant pas à lui laisser cette pièce de un euro qui traîne dans mon sac, choquée de la situation, désolée, attristée, je lui dis que je suis désolée et m’en vais. Quel espoir à dû avoir ce monsieur assis là, à me voir m’arrêter devant lui, cherchant dans mon sac, et me voir sortir ce qu’il ne peut pas accepter. C’est épouvantable. Je continue mon chemin, à peine 10min plus tard un jeune homme cette fois ci, SDF, juste un sac et un manteau sur le dos, demandant de l’aide pour manger chaud ces soirs d’hiver et dormir dans un abri. Personne ne donne. Personne n’écoute. Personne ne regarde. Deux enfants mangeant des gâteaux sont là, le jeune sans abris leur souhaite bon appétit et les enfants répondent merci, en donnant la monnaie qu’il leur reste. Le jeune les remercie et dit à la rame « prenez exemple, ce sont les enfants qui me donnent, ce n’est pas normal ». Il arrive à mon niveau, je n’ai rien. Je le regarde et tente de sourire avec mes yeux (ayant toujours un masque), la personne en face de moi cherche dans ses poches, alors le jeune sdf s’arrête et attend. Il continue de demander « une pièce, même 5cts, un ticket restaurant », il marque une pause et dit : « un billet », et je souris à ces mots. Je prends pour une blague la demande de détresse de cet homme, qui est bien à même de savoir, tout comme moi, que peu de gens donnent des billets. Il me dit :

  • « C’est beau de rêver »
  • « Il faut »
  • « Non ce n’est pas beau de rêver, ça n’amène que du désespoir »

Je suis pétrifiée de tristesse, je sens les larmes qui montent. Je suis si désolée pour cette personne, qui peu importe son passé, ne souhaite que vivre. La personne en face de moi parvient à attraper plusieurs pièces, alors le jeune homme les prend, remercie, en s’en va en  répétant « ça n’apporte que du désespoir ». Mon cœur se brise. Et me voilà à écrire ce texte, tremblant presque et regrettant de n’avoir rien fait, rien dit…  Je suis bien stupide de croire que rêver peut aider à s’évader, que garder de l’espoir est une bonne chose, n’ayant jamais connu pareille situation. Quelle leçon ais-je à donner ? Aucune. Je me sens minable. Si j’étais croyante je prierais pour ce jeune homme, pour le vieux monsieur édenté, espérant qu’ils trouvent de quoi se nourrir et dormir dans un lieu propre et chauffé, pour qu’ils s’en sortent.”

Depuis ce jour, que j’ai de la monnaie ou non, à manger ou non à partager, quand un sans-abris s’adresse à la rame en demandant de l’aide, je le regarde dans les yeux, je lui souris. Je l’écoute, j’attends qu’il passe, je tends la main quand j’en ai l’occasion. Je fais ce que je peux pour rappeler à l’autre que c’est une personne. Un être humain. Qu’il n’est pas juste une ombre. Cela donne des situations comme aujourd’hui : un monsieur demandait à manger et un peu d’argent pour s’offrir un logement pour la nuit. Je lui ai prêté attention, je lui ai souri, une dame aussi. Il nous a sourit en retour, nous a remercié pour les sourires, que c’était parfois mieux que de la monnaie. Il nous a dit “Vous savez, je prends les sourires, je le mets juste ici (montrant son coeur), et quand je n’ai pas le moral je reprends les souvenirs et ça me fait du bien”. C’était très émouvant. Honnêtement, j’étais heureuse de lui apporter ne serait-ce qu’un peu de réconfort en cette matinée où il se battait pour se nourrir et dormir en sécurité. Et ça fait du bien. A lui, et à moi aussi. Outre l’égo qui se sent utile, je suis contente de donner mon temps et quelque chose d’aussi simple qu’un sourire quand tant d’autres personnes détournent le regard, les considèrent comme des pestiférés, préfèrent ne pas donner car ils risqueraient “d’acheter de l’alcool avec” ou même de leur dire de “dégager du métro” car ils “font chier tout le monde” (déjà entendu…). 

Sourire, valoriser, écouter, regarder, tout cela n’est pas valable que pour les SDF, mais pour chaque être humain. S’il vous plaît, continuez d’offrir vos sourires et vos bonjours, cela compte bien plus que l’on se l’imagine… 

Si vous êtes arrivé.es jusque là, merci de m’avoir lue et d’avoir partagé avec moi ce sujet difficile. Merci pour tout. 

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *