Dernièrement, j’ai eu une longue et intéressante discussion avec quelqu’un, si bien que j’ai eu envie de vous en parler. Je tiens à vous dire avant de continuer que cette conversation, bien que nos avis étaient diamétralement opposés, s’est faite en toute bienveillance et sans jugement aucun. Tout le monde à une vision des choses, il est important de la respecter.
Tout a commencé lorsque je me baladais avec mon livre Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester de Saverio Tomasella (Ed. Larousse). Une personne, que nous appellerons Monsieur T (charmant retraité), s’est intéressé à ma lecture en me demandant de quoi il s’agissait (pour le savoir vous aussi, rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle revue ouvrage). Je lui explique que c’est un livre qui parle de la haute sensibilité. Suite à quoi, Monsieur T me répond : “Je pense que la sensiblerie et l’empathie sont les plus grands défauts de la société”. Vous avez bien lu. A ce moment-là, c’est un peu l’alerte rouge dans mon esprit. Pourquoi Monsieur T pense t-il ça ? Que veut-il dire ? Je l’interroge. Il me dit que selon lui, se mettre à la place de l’autre, se confondre avec lui, c’est s’oublier et devenir quelqu’un d’autre. Il me disait que chacun devait rester soi et garder sa personnalité, sans vouloir changer pour devenir ou ressembler à quelqu’un d’autre.
Une fois son explication faite, je comprends mieux ce qu’il a voulu dire, mais je me rends compte qu’il confond plusieurs choses, dont le vocabulaire. Premièrement, il confond nettement empathie et compassion. Ce sujet mériterait un article complet, mais je dirais simplement ici de se reporter à l’allégorie du puits que Fanny Marais décrit bien dans son ouvrage Hypersensible, 10 séances d’autocoaching pour bien vivre sa singularité au travail. Si quelqu’un tombe dans un puits, nous allons nous mettre à la place de cette personne et vouloir l’aider à sortir de cette situation. La différence entre l’empathie et la compassion réside dans l’action qui se déroule ensuite : allons-nous chercher de l’aide et des outils pour faire sortir cette personne du puits, ou allons-nous dans le puits avec elle pour lui faire la courte échelle ? Si nous allons dans le puits, nous restons bloqués à notre tour. Ainsi aider n’aura servi à rien. J’espère que j’explique bien cette allégorie, sinon, je vous conseille de vous reporter au livre directement :).
Dans un second temps, ce qui m’a le plus interpellé dans son propos est le mot “sensiblerie”, qui est un terme que je trouve extrêmement péjoratif… En voici la définition du Larousse : “n.f. Sensibilité outrée ou affectée allant jusqu’au ridicule.” Loin de la sensibilité qui est la faculté à percevoir des sensations et d’éprouver des sentiments, le mot sensiblerie renvoie à quelqu’un qui se donne en spectacle, voire à une personne chochotte ou mijaurée. Pour le coup, la sensiblerie pourrait être qualifiée d’un défaut, mais pas la sensibilité ! J’ai retrouvé en la personne de Monsieur T toutes les injonctions que la société a contre les personnes sensibles et qui nous traite de petites natures, de douillet.e.s, ou encore du bien connu Bisounours. Saverio Tomasella dit quelque chose de très juste à ce sujet dans son ouvrage que j’évoquais plus haut (et dont je vous parlerai la semaine prochaine!). Il dit que si nous sommes traités comme ça, c’est car en plus d’être sensibles, nous sommes sensé.e.s. En effet, nous prenons le temps de réfléchir, nous défendons nos valeurs, nos idéaux et veillons à défendre ce qui est important pour nous. Pour donner un exemple très simple : dans notre société, la violence et les injustices sont partout. Nous autres grands sensibles ne les supportons pas (qui aime et défend la violence et l’injustice ? Il y a certains que cela ne dérange absolument pas et qui restent impassibles à toute image de guerre par exemple…), tandis que la plupart des gens semblent passer outre. Puisque nous nous en écartons, nous passons pour des mauviettes ! Et ces jugements de la part d’autrui sont très réducteurs envers la sensibilité et sont tout aussi irrespectueux. Où est l’ouverture d’esprit, l’acceptation de l’Autre ? Sans viser Monsieur T, certains sont tellement formatés et adaptés au monde qu’ils en oublient l’essence même de la vie : l’humanité.
Pour résumer, Monsieur T, réduit la sensibilité à l’empathie, tout en confondant empathie et compassion, ce qui est pour lui un très gros défaut. En lui expliquant que la sensibilité était beaucoup plus que de ressentir de l’empathie, que c’était aussi, par exemple, apprécier chaque rayon de soleil, le chant des oiseaux, apprécier la grandeur d’un paysage etc, Monsieur T me dit : “Mais tout ça, ce n’est pas de la sensibilité, c’est de l’émerveillement !”. La capacité à s’émerveiller n’est-elle pas liée à la sensibilité ?.. Là aussi, Saverio Tomasella consacre un passage de son livre à ceux qui osent s’émerveiller (décidément, il est super !). Il m’est alors apparu que Monsieur T était en réalité dans une sorte de déni de sa propre sensibilité, lui qui aime tant les arts (c’est un musicien et un photographe amateur), les voyages, les découvertes et s’émeut devant des reportages. A mon avis, aucun doute qu’il soit sensible. Hautement sensible non, mais sensible à un certain degré. Comment ne peut-il pas s’en rendre compte ? Comment peut-il dire que la sensibilité est le plus grand défaut de la société et nier à ce point sa personnalité, lui qui dit justement que vouloir ressembler et être comme les autres est quelque chose de mauvais. Il semblerait que Monsieur T fasse partie de ces personnes qui confondent sensibilité avec fragilité et faiblesse, puisqu’il le disait lui même, ceci est de la “sensiblerie”.
La sensibilité est devenue taboue. On ne peut plus exprimer librement nos émotions, nos sentiments. La sexualité n’est plus taboue tant qu’il s’agit de sexe brut, sans émotion, sans sentiment, mais dès qu’il y a des sentiments on ne peut plus s’exprimer librement, cela dérange trop. En somme, on prive l’humain de ce qui est véritablement humain, c’est à dire sa sensibilité.
Marie-Claude Treglia et Saverio Tomasella, Lettre ouverte aux âmes sensibles qui veulent le rester, Ed. Larousse.
Bien sûr, s’il changeait de vision des choses, je ne peux pas cacher que cela me ferait plaisir car j’ai l’impression que ses pensées sont entravées par la société et toutes les injonctions que nous connaissons bien (homme viril qui doit rester fort et impassible en toute situation…) et je trouve cela dommage de voir les choses sous cet angle. Néanmoins, je respecte son avis et je n’ai en aucune manière tenté de lui donner tort ou de lui faire entendre ma cause. Malgré mes idéaux et tout ce pourquoi je travaille à travers ce blog, c’est à dire faire accepter la sensibilité par le plus grand nombre, j’ai entendu ce que Monsieur T avait à dire, j’ai accepté son point de vue tout comme il a accepté le mien (il a d’ailleurs noter la référence du livre et son auteur pour se renseigner). Nous avons eu une longue et riche discussion qui fut très intéressante, sans jugement aucun, et qui a ensuite divaguée vers bon nombre d’autres sujets tout aussi intéressants…
Et vous, que pensez-vous de tout ceci ? Avez vous des choses à dire suite à la discussion que j’ai eu avec Monsieur T ? A très vite,