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Pleurer, fierté ou honte ?

Anne-Marie Zilberman, Larme d’or.

Vous savez, la plupart du temps je suis fière de ma haute sensibilité. Je la revendique auprès de mon entourage, je leur explique, les informe et j’essaye de sensibiliser chacun et chacune sur ce tempérament. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons créé le blog avec David. 

Depuis le temps, mes proches, mes amis comme ma famille ont compris comment je fonctionne. Avec eux, je peux laisser exprimer ma sensibilité et mes émotions librement. Ils sont toujours là pour m’épauler et je n’ai pas honte de montrer ma vulnérabilité, de pleurer à chaudes larmes, de dire ce que je ressens au moment où je le ressens… Je suis très contente de pouvoir me montrer sans masque et de ne pas refouler tous les sentiments que j’ai, comme j’aurais pu le faire il y a quelques années encore… Je pense que savoir communiquer ses émotions, les reconnaître puis en parler (si ce n’est pas à quelqu’un, ça peut être dans un journal, je fais d’ailleurs les deux…) est vraiment important et bénéfique. Cela permet d’extérioriser nos ressentis, et c’est essentiel, car lorsqu’on garde tout à l’intérieur, vous le savez car ça vous est déjà sûrement arrivé, tout finit par exploser !! Et à ce moment-là, c’est bien pire ! Alors autant se libérer petit à petit quand c’est possible et qu’on y arrive. Ca évitera aussi bien des tracas à votre corps qui réagit parfois très fort au stress émotionnel accumulé.

L’idée du masque, je vous en parlais dans un de mes précédents articles… Lorsque je ne savais pas encore que j’étais hautement sensible, notamment pendant mon adolescence, j’en souffrais beaucoup. J’en souffrais car je ne comprenais pas l’intensité de mes émotions, je ne les voulais pas, je voulais à tout prix les contrôler, les faire disparaître. Je me souviens que je répétais tout le temps « Mais je ne suis pas sensible, je suis juste émotive », comme si ça me rassurait, que ça me faisait entrer un moule dans lequel je voulais absolument me conformer. Je me trouvais faible. Je n’aimais pas cet aspect de ma personnalité. Les autres me trouvaient bizarre et moi aussi je pensais être anormale. Je voulais être comme eux. J’avais envie de fuir loin. Loin des gens et loin du monde dans lequel je ne me sentais pas capable de vivre. Comme beaucoup d’entre nous, j’avais l’impression de ne pas être à ma place, où que j’aille. Je disais d’ailleurs souvent à ma mère que j’étais née à la mauvaise époque ou sur la mauvaise planète…

Pablo Picasso, La femme qui pleure, huile sur toile, 1937, Tate Modern, Londres.

Après avoir découvert ma haute sensibilité, bien sûr, le chemin a été long. Je ne l’ai pas accepté du jour au lendemain et la carapace que je m’étais forgée, ce fameux masque, il ne m’a pas quitté tout de suite. Il a mis du temps à partir. C’est seulement après avoir lu bon nombre de livres, regardé plein de vidéos, avoir lu des études et autres témoignages que j’ai enfin eu le courage d’en parler à mon entourage. Et plus je le disais à voix haute, plus j’en parlais, plus le masque se dissipait et plus j’arrivais à laisser mes émotions s’exprimer sans plus essayer de vouloir les « gérer ».

Aujourd’hui, ce masque m’a complètement quitté. Il n’est plus là.  Il a disparu au fil du temps sans même que je m’en rende compte. Aujourd’hui, même face à des gens peu sensibles, je n’essaye pas de leur ressembler, je n’essaye pas de faire en sorte qu’ils m’apprécient en leur montrant que je suis insensible,  que je suis comme ils voudraient que je sois. Si je dois pleurer, avoir les larmes aux yeux ou même fondre en larmes, alors je le fais. Je n’essaye plus de me retenir jusqu’à en avoir mal à la tête. J’ai compris que quand on fait ça, c’est bien pire, encore une fois. Cependant, même si je laisse mes émotions s’exprimer à la vue de tous sans plus essayer de me cacher, j’ai parfois toujours ce sentiment désagréable, cette sorte de honte qu’on éprouve quand on pleure devant un inconnu qui n’a rien demandé. J’éprouve de la honte car c’est bien souvent malaisant pour les autres de nous regarder pleurer sans savoir quoi faire à part nous donner un mouchoir (remercions ces gens-là, tout le monde ne propose pas de mouchoir !!) ou nous dire « mais ne pleure pas, ça ne sert à rien »… Alors je suis gênée. Je suis gênée de mettre mal à l’aise les autres (je parle ici d’inconnus ou de personnes avec qui je ne suis pas proches, comme des collègues par exemple), je suis gênée de me laisser aller car ce n’est pas le lieu, le moment, que ce n’est pas poli ou que sais-je… Par moment, j’en veux à ma sensibilité de me mettre dans ce genre de situation et de me faire ressentir cette honte… Et puis après, je culpabilise de ressentir de la honte car après tout, c’est normal et je n’y peux rien… Et en même temps j’aurais quand même voulu ne pas donner une image de moi toute frêle… Ensuite je m’en veux de penser que je suis faible car je pleure… Bref, tout plein de pensées diverses surgissent et je me prends la tête toute seule… Vous savez ce que c’est. J’ai beau m’en être déjà beaucoup détachée, les injonctions sociales selon lesquelles pleurer et être très sensible c’est être faible viennent encore dans ma tête de temps en temps.

Mary Cassatt, La femme au mouchoir, c. 1887, huile sur toile, collection particulière.

Ce serait vous mentir que de dire que j’accepte tous les jours ma sensibilité, que c’est toujours un cadeau, un don… C’est faux. Ce n’est pas toujours un cadeau, ce n’est pas toujours facile de dire « je pleure et alors ? », par moment ce n’est pas ok pour moi de pleurer à chaudes larmes quand je n’ai pas envie qu’on me regarde. Par moment ça me gêne profondément d’être bouleversée pour quelque chose qui paraît totalement banal pour les autres… Pour vous donner des exemples : Il y a quelques années, je travaillais à l’accueil d’une entreprise, un client a manifesté son mécontentement, et ça m’a fait complètement fondre en larmes ! J’ai été décontenancé par sa réaction et j’ai mis un temps fou à me calmer. Je n’arrivais pas du tout à m’arrêter de pleurer, j’étais bouleversée par ce monsieur et par le fait que je sois incontrôlable… Tout ce qui s’est passé ce jour là est peu flou désormais car je crois que mon cerveau a décidé de ne pas s’en souvenir, mais tout ce dont je me souviens, c’est que je m’en suis beaucoup voulu sur le coup de me mettre dans un état pareil, je ne trouvais pas ça professionnel et je me disais que j’étais nulle… Quand j’y repense, ce n’est vraiment pas un souvenir joyeux… ; Un autre exemple : Il faut savoir que je n’aime pas du tout dire au revoir, ca m’émeut toujours beaucoup pour plusieurs raisons qui sont inutiles de citer ici, mais une fois, après une chouette soirée, je disais au revoir à un ami avant qu’on rentre chacun de notre côté par un métro différent (je précise qu’on devait se revoir bientôt!). Arrivée dans les souterrains, une fois mon ami parti, j’ai fondu en larmes ! J’avais énormément de chagrin de lui avoir dit au revoir, je ne saurais pas l’expliquer… J’ai dû m’arrêter de marcher et m’appuyer contre un mur tant je pleurais, je n’y voyais plus rien, alors je suis restée là, j’ai essayé de respirer profondément pour pouvoir reprendre mon souffle et mes esprits et rentrer chez moi… Quand j’y repense, cette réaction me paraît complètement démesurée, et pourtant l’émotion était si forte que mon corps a subitement et fortement réagit. Je m’en suis un peu voulu quand une jeune fille s’est arrêtée pour me demander si ça allait, si j’allais bien… Je me suis dit qu’elle avait dû croire que je m’étais faite agressée… Alors que non. J’avais juste dit au revoir à quelqu’un !! Bienvenue dans ma vie d’ultrasensible ! 

Vous le voyez, par moment, ça reste extrêmement difficile d’être hautement sensible, et je voudrais qu’on arrête de dire « acceptez-vous ! c’est génial d’être HS ! Ça vous donne des qualités super ! », car parfois, on a juste besoin qu’on nous épaule, pas qu’on nous mette la pression avec toute cette fausse positivité. J’ai une nature plutôt positive et optimiste, mais par moment, je n’ai pas du tout envie de l’être, et je n’ai pas envie qu’on essaye de me remonter le moral, car je sais au fond de moi que ça va passer, que c’est juste un surplus d’émotions qui demande à sortir, et je veux juste vivre le moment, le traverser pour que ça passe

Sara Shakeel, collage, 2020.

S’il y a bien une chose que j’ai appris, c’est de prendre chaque journée, voire chaque moment, comme il vient car je ne sais jamais comment mes pensées et mon corps vont réagir, si je vais être bouleversée ou non. Quand je sais que je vais être confrontée à une situation difficile, je me prépare psychologiquement, je me dis « ok Séléné, ça va surement être triste, ce n’est pas grave si tu pleures, ça va aller » et au final je n’ai pas du tout envie de pleurer, et d’autres fois quand je pense que je vais passer un bon moment, il se produit tout le contraire. Alors je prends les émotions comme elles viennent, je les laisse s’exprimer, je les laisse sortir car je sais qu’il ne faut surtout pas que je les garde à l’intérieur. Et si ça m’agace parfois qu’on me dise tout plein de choses positives en pensant m’aider alors que j’ai besoin de traverser ça toute seule, j’apprécie quand même une compagnie silencieuse pour m’épauler, un sourire, un câlin… 

Tout ça pour dire que oui, la plupart du temps je suis très fière d’être hautement sensible, je l’accepte, j’ai intégré comment je fonctionne et je n’essaye pas de lutter, simplement, par moment, ça n’en reste pas moins difficile et fatiguant. Et c’est ok aussi. Il y a des jours avec et des jours sans, comme nous en avons tous. Je ne me mets pas la pression. Je continue d’avancer. Le chemin est loin d’être terminé. 

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